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De quoi Arrima est-il le nom ?

par l'IRIS (Chronique du Tam-Tam)Publié le 27 juin 2019


Déposé le 7 février dernier par le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, M. Simon Jolin-Barrette, le projet de loi no 9, Loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec fait du système de déclaration d’intérêt, et le portail Arrima, l’assise sur laquelle l’immigration permanente au Québec sera désormais planifiée. Or, de quoi Arrima est-il réellement le nom ?

Arrima pour “arrimage”

Lancé en août 2018, le portail Arrima est dédié au système de déclaration d’intérêt et s’adresse aux personnes qui désirent immigrer au Québec dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ).

Pourquoi cette réforme ? En fait, l’ancien système du “premier arrivé, premier servi” par lequel les travailleurs·euses qualifié·e·s étaient sélectionné·e·s avait plusieurs lacunes. Premièrement, même après l’évaluation de leur employabilité au moyen d’une grille, les travailleurs·euses qualifié·e·s admis·e·s étaient confronté·e·s au chômage et à la déqualification qui caractérisent la population immigrante. En effet, le taux de chômage des personnes immigrantes arrivées depuis moins de cinq ans était de 11,4 % en 2018 alors qu’il était de 5,0 % pour la population native [1]. De même, la déqualification – ou surqualification – des personnes immigrantes sur le marché du travail est un phénomène nuisant considérablement à leur qualité de vie et à leur intégration au marché du travail et à la société québécoise [2]. En 2018, le taux de déqualification était de 59 % pour les nouveaux et nouvelles arrivant·e·s âgé·e·s entre 25 et 54 ans [3]. Par ailleurs, en raison de son côté archaïque sur le plan technologique, l’ancien système produisait plusieurs arriérées – dont les 18 000 dossiers ayant fait les manchettes dernièrement – en plus d’imposer de longs délais d’attente pour les candidat·e·s à l’immigration.

C’est pour pallier ces faiblesses que le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur l’immigration au Québec en avril 2016 et le Règlement sur l’immigration au Québec en août 2018. Adopté sous bâillon récemment, le projet de loi no 9 du gouvernement caquiste vient donc parachever une réforme largement entamée sous les Libéraux. C’est de ce nouveau cadre légal que le système de déclaration d’intérêt, dont Arrima est la pierre angulaire, a vu le jour. Bien qu’il s’applique uniquement pour le PRTQ, ce nouveau système s’étendra probablement pour d’autres programmes d’immigration économique, notamment le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) qui s’adresse aux travailleurs et aux travailleuses temporaires et aux étudiant·e·s étranger·ère·s [4]. La figure suivante illustre le nouveau processus de gestion des demandes d’immigration.

Source : Gouvernement du Québec. (2019). Consultation publique 2019 : La planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022. Cahier de consultation, p.8. Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI).

L’Australie comme modèle

Il faut savoir que le Québec n’est pas le premier à se munir d’un tel portail dans le cadre d’une modernisation de son système d’immigration. En 2015, le Canada abandonnait lui aussi le système du “premier arrivé, premier servi”, afin d’implanter son propre portail (Entrée Express). Tout comme le Québec, le Canada a développé ce portail dans l’objectif de moderniser le processus de sélection des personnes immigrantes. L’ancien système d’immigration fédéral connaissait les mêmes limites que celui du Québec : inadéquation entre les besoins du marché et le profil des candidat·e·s sélectionné·e·s, longs délais causés par une bureaucratie administrative lourde et rigide et importante production d’arriérées [5].

Pour réformer leur système d’immigration, le Canada et le Québec se sont tous deux tournés vers l’Australie, dont la performance économique de ses immigrant·e·s avait su attirer l’attention d’autres États auparavant. Ainsi, le gouvernement australien a entamé d’importantes réformes au cours des années 1990 menant à l’abandon d’un régime d’immigration visant le peuplement pour un régime purement axé sur les besoins des employeurs. Tout comme ici, l’Australie était motivée par la volonté d’assurer une meilleure intégration de ses immigrant·e·s et de résorber des pénuries de main-d’oeuvre dans certains secteurs [6].

La privatisation de l’immigration : quand le ministère de l’Immigration devient le ministère du Travail

Le principal argument ayant soutenu l’émergence en Australie de ce paradigme puis sa diffusion dans d’autres pays peut se formuler de deux façons. La première consiste à associer les difficultés des personnes immigrantes sur le marché du travail (taux de chômage élevé, déqualification, etc.) aux personnes immigrantes elles-mêmes. Autrement dit, l’État sélectionne les mauvaises personnes. De là les nombreuses refontes du système de pointage en Australie et ici afin d’identifier les candidat·e·s capables de répondre rapidement aux besoins du marché. Formulé autrement, cet argument est le suivant : face à l’incapacité de l’État à assurer l’intégration des personnes immigrantes sur le marché du travail, il paraît nécessaire de réduire le plus possible son intervention au niveau de la sélection et se fier au marché qui va s’autoréguler de lui-même – la fameuse “main invisible”.

Cet argument comporte toutefois deux faiblesses. Premièrement, il évacue la dimension sociale de l’immigration pour se limiter uniquement à l’économique. Ainsi, la personne immigrante est bien plus qu’un·e travailleur·euse. Elle a une histoire, une culture, une famille, bref, il convient d’évaluer comment toutes ces facettes aident ou nuisent à son épanouissement dans une société. Or, que ce soit avec SkillSelect, Entrée Express ou Arrima, il est encore impossible de prévoir l’influence de ces facteurs sur le processus d’intégration d’une personne immigrante. Vouloir assurer l’insertion professionnelle est louable, mais à quoi bon si un·e travailleur·euse n’arrive pas à s’intégrer à une société ou, pour le dire comme il se doit, si une société ne parvient pas à l’intégrer. Deuxièmement, en dehors de la sélection, les tenant·e·s d’une immigration strictement économique sont plutôt discret·e·s sur le rôle des employeurs dans l’accueil et l’intégration des personnes immigrantes.

Bien qu’il comporte des avantages sur le plan technique, le cas australien montre aussi que le système de déclaration d’intérêt présente des risques non négligeables. D’une part, en abandonnant la sélection des personnes immigrantes aux employeurs, l’Australie a favorisé une immigration temporaire dans sa nature : la priorité est donnée aux personnes pouvant répondre aux demandes en main-d’oeuvre à court terme au détriment des besoins en capital humain et aux préoccupations liées à l’intégration de ces personnes. D’autre part, le système d’immigration australien s’est aussi accompagné d’un resserrement au niveau de l’accès à la résidence permanente ce qui, au cours de la dernière décennie, a fait bondir le nombre de travailleur·euse·s temporaires et d’étudiant·e·s étranger·ère·s qui doivent jongler entre différents visas. L’exemple australien montre également comment les employeurs finissent par dicter qui peut ou non rester dans le pays [7]. Or, les intérêts du privé ne sont pas toujours ceux de l’État : par exemple, on sait que les préjugés et les préférences jouent un rôle important dans la recherche et l’embauche d’employé·e·s, ce qui conduit à former des milieux de travail homogènes sur les plans de l’origine ethnique ou nationale, de la religion ou du sexe [8]. Rien n’indique que la réforme proposée par le gouvernement Legault contribuera à résorber ce problème. À l’inverse, bien que l’immigration au Canada et au Québec ait toujours été basée sur des politiques et des pratiques discriminatoires, les avancées en matière des droits de la personne ont permis de réduire considérablement ces phénomènes, sans les effacer. Ce sont ces efforts visant à rendre plus équitable le processus de sélection des personnes immigrantes qui ont largement contribué à diversifier la composition de la population du Canada et du Québec [9].

Au final, le système d’immigration à l’australienne cache une forme de privatisation de l’immigration : les États se perçoivent comme des concurrents dans l’approvisionnement en travailleur·euses immigrant·e·s, qui sont conçu·e·s comme des biens mobilisables et capitalisables. Il s’agit d’attirer les immigrant·e·s hautement qualifié·e·s et éduqué·e·s, jeunes, aisé·e·s et capables d’intégrer le marché du travail rapidement. Dans ce contexte, force est de constater que l’immigration n’est donc plus affaire d’État en soi, mais plutôt celui du marché qui impose ses besoins à l’État.

La déclaration d’intérêt, un tout-va-bien-signé-Canrobert néolibéral ?

Dans une étude portant sur le système de sélection de la Nouvelle-Écosse, Alexandra Dobrowolsky résumait très bien l’influence du néolibéralisme sur les politiques d’immigration du Canada.

Plus spécifiquement, la professeure en science politique à Saint-Mary’s souligne que les principaux objectifs du nouveau système d’immigration canadien consistent à : (a) attirer des immigrant·e·s hautement qualifié·e·s ; (b) favoriser les travailleurs·euse·s étranger·ère·s temporaires qui touchent des bas salaires, en particulier les travailleur·euse·s peu ou pas qualifié·e·s ; (c) diversifier et rendre plus accessibles différentes portes d’entrée, notamment les programmes pour les travailleur·euse·s, mais aussi les étudiant·e·s ; (d) réduire les coûts d’établissement des personnes immigrantes ; (e) encourager l’installation des personnes immigrantes dans des régions faiblement peuplées – au Québec, on parle de “régionalisation de l’immigration” ; (f) accentuer le contrôle aux frontières et la répression des personnes sans statut ; (g) changer les règles de citoyenneté afin de réduire les risques de coûts jugés indésirables et d’avantages non réalisés par l’État ; (h) vendre l’immigration au public canadien à travers une rhétorique politique accentuant les bénéfices escomptés de l’immigration tout en réduisant tout discours portant sur les risques et échecs potentiels [10].

En faisant un rapide survol des orientations pluriannuelles 2020-2022 annoncées par le MIDI, il est tout à fait possible de tirer des parallèles avec les observations de Dobrowolsky. Par exemple, notons la priorisation donnée à l’immigration économique pour que celle-ci représente 66 % des admissions prévues pour la période 2020-2022 (Orientation 2). De même, le gouvernement désire assurer simultanément l’arrimage de la sélection aux besoins à court terme du marché (Orientation 4) et la régionalisation de l’immigration pour soutenir les collectivités qui connaissent une rareté de main-d’oeuvre (Orientation 6). Ces trois orientations sont guidées par une même idée : l’emploi, l’emploi et l’emploi. Il est aussi possible de voir la manière dont le Québec entend réduire les coûts jugés indésirables en immigration. D’une part, la connaissance du français ne s’appliquera plus uniquement aux travailleur·euse·s qualifié·e·s, mais à l’ensemble des adultes admis (Orientation 8). D’autre part, en favorisant les jeunes (Orientation 9) et en retournant aux anciens seuils pour les refugié·e·s (Orientation 10), le gouvernement espère probablement limiter les coûts socioéconomiques (augmentation des coûts en santé et en francisation, hausse du taux de chômage, etc.) que suppose l’accueil des personnes immigrantes plus âgées et les personnes réfugiées. La connaissance des “valeurs démocratiques et québécoises” (Orientation 7) s’inscrit également dans cette logique de réduction des coûts : aux yeux du gouvernement du Québec, il serait plus économique d’admettre uniquement des personnes immigrantes qui connaissent déjà “nos” valeurs, puisqu’elles s’intégreront mieux à la société. Seulement, aucune étude sérieuse n’a permis d’établir un tel parallèle ni même de montrer que les valeurs des personnes immigrantes étaient différentes de celles des personnes natives.

En conclusion, on constate que ce nouveau paradigme idéologique en matière d’immigration, développé et promulgué par le gouvernement fédéral, puis adopté par les provinces [11], dont le Québec, comprend des orientations largement édictées par le milieu des affaires. Nulle surprise donc de voir le gouvernement Legault rehausser les seuils d’immigration après les avoir réduits pour… une année. Rien d’étonnant non plus à ce que les employeurs accueillent favorablement l’adoption du projet de loi no 9. En avalisant ce nouveau système, espérons seulement que la signature du gouvernement du Québec au bas du projet de loi no 9 ne sera pas comme celle du maréchal Canrobert, soit un optimisme de façade.

[1] Gouvernement du Québec. (2019). Consultation publique 2019 : La planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022. Cahier de consultation, p.23-24. MIDI. Repéré ici

[2] Chicha, M. T. (2012). Discrimination systémique et intersectionnalité: la déqualification des immigrantes à Montréal. Canadian Journal of Women and the Law, 24 (1), 82-113.

[3] Gouvernement du Québec. (2019). Consultation publique 2019 : La planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022. Cahier de consultation, p.23. MIDI. Repéré ici

[4] Gouvernement du Québec. (2019). Consultation publique 2019 : La planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022. Cahier de consultation, p.8. MIDI. Repéré ici

[5] Hiebert, D. (2019). The Canadian Express Entry system for selecting economic immigrants. Migration Policy Institute. Repéré ici

[6] Boucher, A. & Davidson, A. (2019). The evolution of the Australian system for selecting economic immigrants. Migration Policy Institute. Repéré ici

[7] Boucher, A. & Davidson, A. (2019). The evolution of the Australian system for selecting economic immigrants. Migration Policy Institute, p. 2. Repéré ici

[8] Brière, S., Fortin, B. et Lacroix, G. Discrimination à l’embauche des candidats d’origine maghrébine dans la région de la Capitale-Nationale. CIRANO. Repéré ici ; Bélaire-Cirino, M. (2012, 30 octobre). Les femmes victimes de discrimination systémique en construction. Le Devoir. Repéré ici

[9] Gouvernement du Québec. (2017). Immigration et démographie au Québec. Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. Repéré ici

[10] Dobrowolsky, A. (2012). Nuancing neoliberalism: Lessons learned from a failed immigration experiment. Journal of International Migration & Integration, 14 (2), 197-198.

[11] Dobrowolsky, A. (2013). Nuancing neoliberalism: lessons learned from a failed immigration experiment. Journal of International Migration & Integration, 14 (2), 197-218.

Par Rémy-Paulin


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